Les guitaristes constituent une base importante du marché du home studio. Consommateurs par excellence, ils n'hésitent pas à sacrifier une grande partie de leur économie dans des guitares et amplis de légende, bien plus que dans les micros nécessaires à l'enregistrement de ces derniers, et ce afin d'acquérir LE son.
Digidesign, sans doute motivé par la part croissante d'entre eux attirés par les plug-in façon Amplitube, GTR ou Guitar Rig, se lance ainsi sur le marché des émulations d'amplis mais pas à la façon d'IK Multimedia, Waves ou Native Instruments. Plutôt façon Line6 ou Softube. En gros, on fait une chose seulement mais on la fait bien, et on ne compte pas sur les racks d'effets pour gommer d'éventuelles faiblesses de modélisation. Intention louable avec cette démonstration de savoir-faire : au menu 14 amplis à lampes de légende émulés plus 2 créations, 7 convolutions de baffles et 8 micros pour les capter.
En gros le plug s'articule comme suit : une émulation d'ampli, une modélisation de cabinet de HP avec une variable de distorsion liée au cône du HP, une sélection de micros à placer dans l'axe ou hors axe, un noise gate et la possibilité de mélanger tous ces paramètres joyeusement ou de faire des combinaisons hors du commun. Ajoutons à cela un Midi Learn bien pensé (sur Pro Tools, si si) et on a en gros un tableau de l'ensemble. Pas de placement de micro au choix donc, d'ailleurs on ne verra jamais que le haut du HP dans la fenêtre du plug. Ce qui va nous amener à poser quelques questions préalables :
Ce type d'émulation remplace-t-il réellement un ampli à lampes ? Non, il ne remplace qu'un ampli à lampes enregistré, ce qui n'est pas du tout la même chose ! La déception classique de l'heureux possesseur de Soldano lorsqu'il enregistre pour la première fois son énorme son qui fait vibrer tout le studio à l'aide d'un petit SM57 en est le reflet : au mix ça passera sans doute magnifiquement mais la prise en soi n'est pas l'ampli lui-même. Donc exit la majestueuse puissance du Soldano, c'est sa couleur qu'on recherche ici.
Peut-on obtenir tout ce qu'on serait en droit d'attendre d'un ampli à lampe ? Non, par exemple on n'aura pas de larsen (à moins de pousser le son monstrueusement fort sur nos HP durant les prises, ce qui n'est pas souhaitable), ni même une réserve de gain colossale puisque le « micro » du plug-in compense l'augmentation de niveau obtenue (on ne peut pas en régler le gain nous-même), ce qui nous laisse parfois dans une situation un peu floue. La différence de jeu sur un ampli à lampes est par ailleurs plutôt bien rendue ici, bien que moindre par rapport à un véritable ampli où un jeu doux sur réglage saturé donnera un son clair et chaud par exemple.
Mais au fond, qu'est-ce qui fait la différence ? Eh bien tout dépend de la façon d'enregistrer votre ampli : choix et placement des micros, type et réglages de préamps pour les micros, etc. Dans le cas d'une émulation les choix sont énormes par rapport au home studiste qui ne possède qu'un micro statique chinois et un petit Marshall de base à transistor… Ils le sont bien moins pour celui qui a des moyens, une idée précise du son qu'il veut et qui passera une partie de son temps à choisir et placer chacun des composants à sa disposition. Ainsi on pourrait placer des micros statiques à 1 ou 2 mètres de l'ampli et les mixer avec des dynamiques collés à 45° de la membrane, placer un autre micro derrière l'ampli, jouer sur la phase en travaillant au centimètre près…
Les conditions de test
Bref le règne de la quantité est bien un signe des temps : si la qualité progresse régulièrement, on a ainsi pour limite théorique le matériel original, souvent vieux de plus de 30 ans. Et quoi qu'on fasse on se situe jusqu'à présent au-dessous, avec il est vrai des avantages indéniables : travail à faible niveau, portabilité, palettes sonores diversifiées et surtout disponible à tous et à toutes les bourses. Parce qu'il faut également le reconnaître, ces systèmes marchent bien avec pratiquement n'importe quelle guitare. En matière d'uniformisation sonore c'est également un paradoxe, toutes ces sonorités et combinaisons disponibles sans que la guitare elle-même ou la façon dont elle est enregistrée fasse vraiment la différence…
En l'occurrence nous avons testé l'ensemble avec une Fender Telecaster Custom Shop '63 (micros à simple bobinage) en passant par un préampli à lampes Universal Audio 2-610, puis avec une Aria Pro 2 Custom type Les Paul (double bobinage). Enfin nous avons essayé de voir ce que cela donnait sur de vrais Mesa-Boogie Dual Rectifier Blue Angel et Dual Caliber DC-3, à l'aide de micros divers. Certes ce ne sont pas les amplis référencés ici (c'est pourquoi nous ne les avons pas enregistrés), mais il faut bien reconnaître ce qui est : le jeu réel reste plus subtil et plus agréable, et le son plus maniable, plein et rond. Par contre dans un mix Eleven passe extrêmement bien et c'est ce qu'on lui demande, surtout si on le travaille au corps. Attention, les presets sont comme souvent à éviter, et ne rendront pas justice à votre jeu tant les variations sont possibles...
Les possibilités
Mais parlons d'Eleven LE : on peut séparer l'ampli du HP et son micro, ce qui permettra de faire diverses choses, faire des prises à plusieurs micros, à plusieurs cabinets de HP, voire à plusieurs amplis sur un même HP. Plus étonnant, on pourrait également utiliser une sortie d'ampli réel dans le baffle d'Eleven, ou encore bien sûr utiliser l'ampli du plug sur des HP réels – dans ce dernier cas il s'agirait de s'assurer d'avoir la bonne impédance en sortie. Bref, les possibilités sont énormes.
Dans les exemples associés, nous avons d'abord essayé Eleven en son solo clean (Fender '59 Tweed Deluxe et son HP), avec il est vrai une belle réverbe Plate signée Kurzweil.
Puis le même en son saturé, avec un poil moins de réverbe ('69 Marshall 1959 100-Watt Super Lead – Plexiglas Head avec un HP '64 Fender Black Face Deluxe Reverb 1x12" Jensen).
Le résultat est agréable et bien défini avec l'Aria et ses Humbuckers, il l'était étonnamment un peu moins sur la Telecaster. À noter, nous n'avons utilisé aucun EQ ou compresseur, ce afin de rendre le son tel qu'il est en sortie d'Eleven.
Nous avons ensuite intégré une boucle de batterie rock signée Igorrr avec deux guitares saturées, cette fois en doublant systématiquement les HP et en utilisant deux micros dont l'un est sur l'axe et l'autre hors axe. Une modulation de phase n'était pas nécessaire mais aurait pu être obtenue à l'aide d'un délai court, ce qui démultiplie encore les choix sonores.
Dans un cas il y a deux Aria :
Et dans l'autre une Aria et une Telecaster.
On notera que la différence de son entre les deux guitares est très nettement moindre que sur un véritable ampli, mais le son passe nickel dans les deux cas. Est-ce une bonne chose, où doit-on le regretter ? C'est une affaire de goût, un gain pour les petits budgets et une perte non négligeable pour les possesseurs de pièces de collection.
Notons enfin que le jeu metal fait de Power Chords ne passe pas aussi bien que sur un vrai ampli, la puissance obtenue sur un Soldano par exemple ne passant que mal le cap de l'émulation. On aura donc recours à nos pédales favorites en entrée. Mais l'ensemble reste très agréable à utiliser et étonnant de naturel dans un mix. Nos préférés : le Vox AC30, le JCM 800 et le Digidesign Custom Vintage Crunch, une création maison qui sert de best of dans le genre !
Mentions particulières pour le Midi Learn, rare dans Pro Tools et qui permet un travail plus intuitif du son, mais surtout pour l'excellent paramètre Speaker Breakup, qui permet de faire saturer plus ou moins le haut-parleur et ajoute encore une infinité de couleurs. Remarquable et unique à notre connaissance.
Micros et consommation CPU
On a donc à notre disposition plein d'amplis et de couleurs, tous à lampes et bien restitués.
Ainsi que de nombreux baffles.
Le son est superbe, mais quelle déception en matière de consommation CPU et de prix ! 377 € tout de même, et sur notre processeur équipé Intel Core 2 Duo à 2 GHz avec 2 Go de Ram, il nous a été impossible de placer plus de 2 Eleven LE sans faire tousser la machine.
Pire qu'Amplitube malgré d'autres qualités… Du coup, on se résoudra à enregistrer les guitares en premier, puis à bouncer les pistes séparément. Dommage décidément qu'il n'y ait pas de freeze dans Pro Tools...
Enfin signalons que par moment Eleven LE a des pics de consommation CPU qui ont bloqué notre machine pendant 3 minutes à chaque fois avant de redescendre. Bizarre, un update devrait pouvoir corriger ça. Les micros employés sont quant à eux assez fidèles aux originaux également, et un SM57 conviendra souvent bien mieux qu'un Neumann U67 pour la simple raison qu'il ne restituera pas autant dans le haut du spectre, là où un HP d'ampli n'envoie quasiment que des medium. Nous avons tout de même été globalement surpris par les restitutions des micros statiques, normalement beaucoup plus agressifs dans le haut du spectre et nécessitant d'être filtrés. Les ingénieurs de Digi s'en seraient-ils chargés à notre place ?
L'addition du Royer R121 est enfin bienvenue, ce micro à ruban ayant fait son apparition récemment dans le peloton de tête des micros les plus employés à cet égard aux US.
En conclusion
L'ensemble est uniquement disponible pour Pro Tools, qui disposait déjà exclusivement d'Amp Farm et de Chrome Tone, et c'est bien dommage pour ceux qui souhaiteraient s'en servir en live. Cependant la démarche est à saluer : un rapide comparatif avec GTR de Waves montre que le son en « sortie d'ampli » est plus naturel chez Digidesign, et ce bien que la plupart des modèles d'amplis, de HP et de micros soient du même tonneau que chez les concurrents. Ce dont Eleven ne dispose pas fait certes une grosse différence dans l'obtention du son final, mais les puristes pourront obtenir le meilleur des mondes en mélangeant les deux softs… s'ils en ont les moyens. A vos guitares !
-i snor
Prix catalogue :
Eleven LE : 377 euros TTC
Modèles d'amplis : Original / Version Eleven
'59 Fender Tweed Deluxe / '59 Tweed Lux
'59 Fender Bassman / '59 Tweed Bass
'64 Fender Black Face Deluxe Reverb – Vibrato Channel / '64 Black Panel Lux Vibrato
'64 Fender Black Face Deluxe Reverb – Normal Channel / '64 Black Panel Lux Normal
'66 VOX AC30 - Top Boost / '66 AC Hi Boost
'67 Fender Black Face Twin Reverb / '67 Black Panel Duo
'69 Marshall 1959 100-Watt Super Lead – Plexiglas Head / '69 Plexiglas – 100W
'82 Marshall JCM800 2203 100-Watt Head / '82 Lead 800 – 100W
'85 Mesa-Boogie Mark IIc + Drive Channel / '85 M-2 Lead
'89 Soldano SLO100 Super Lead Overdrive Head – Overdrive Channel / '89 SL-100 Drive
'89 Soldano SLO100 Super Lead Overdrive Head – Crunch Channel / '89 SL-100 Crunch
'89 Soldano SLO100 Super Lead Overdrive Head – Clean Channel / '89 SL-100 Clean
'92 Mesa/Boogie Dual Rectifier Head Modern Channel / '92 Treadplate Modern
'92 Mesa/Boogie Dual Rectifier Head Vintage Channel / '92 Treadplate Vintage
Digidesign Custom Modern Overdrive / DC Modern Overdrive
Digidesign Custom Vintage Crunch / DC Vintage Crunch
Modèles de cabinets de HP : Original / Version Eleven
'64 Fender Black Face Deluxe Reverb 1x12" with Jensen P12Q / 1x12 Black Panel Lux
'59 Fender Tweed Deluxe 1x12" with Jensen P12Q / 1x12 Tweed Lux
'66 VOX AC30 2x12" with Celestion Alnico Blues / 2x12 AC Blue
'67 Fender Black Face Twin Reverb 2x12" with Jensen C12Ns / 2x12 Black Panel Duo
'59 Fender Bassman 4x10" with Jensen P10Qs / 4x10 Tweed Bass
'06 Marshall 1960AV 4x12" with Celestion Vintage 30s / 4x12 Classic 30
'68 Marshall 1960A with Celestion G12H "Greenbacks" / 4x12 Green 25W
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