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Au delà de la stéréo 1 - Le son multicanal.

1 janv. 1995 - par Franck ERNOULD
Rien de nouveau sous le soleil : la stéréo accuse ses limites, ne permet pas de s'immerger totalement dans un espace sonore. Face à ce triste constat et suite au cuisant échec de la quadriphonie, deux méthodes s'affrontent : d'un côté la diffusion multicanal, 5.1 en tête, de l'autre l'approche psychoacoustique consistant à générer des effets tridimensionnels au travers d'une paire enceintes. Dans ce premier volet, nous nous intéresserons à l'approche "multicanal"...

Depuis que l'homme est sur terre, il se sert de ses deux oreilles pour entendre. Voici cent ans, c'est en mono que nos ancêtres écoutaient leurs gramophones, puis le cinéma, puis la radio. La stéréo ne date que des années 60, et nous voilà aujourd'hui en 5.1. Quant au 7.1, Sony le réserve pour l'instant aux très grandes salles de cinéma !
Stéréo acoustique
    Tous les scientifiques sont unanimes : l'être humain est pourvu, entre autres, de deux oreilles. Ces capteurs fort efficaces et le traitement, au sein du cerveau, du signal qu'ils recueillent permettent de localiser un son dans tout l'espace : plans gauche-droite, mais aussi avant-arrière et haut-bas. L'audition prend ici un avantage décisif sur la vision, qui n'est que frontale. Si l'on remontre à notre stade primitif, tout ce qui n'est pas vu est source potentielle de danger. C'est pourquoi notre cerveau se met en état d'alerte dès qu'il perçoit un bruit brusque provenant de l'arrière. Réflexe : on se retourne pour voir ce dont il s'agit. Un détail à ne pas oublier quand on mixe en surround !
    Pendant des siècles, la musique a utilisé des instruments acoustiques rayonnant de l'énergie qui se répartit ensuite dans toutes les directions, allant rebondir sur les murs de la pièce si l'on se trouve en intérieur. Le cerveau se débrouille alors pour repérer spatialement le ou les instrumentistes, juger de leur distance (proportion champ direct/champ réverbéré). La musique savante n'a pas attendu les plug-ins ProTools pour s'amuser avec des effets de spatialisation plus ou moins prononcés : faire passer des lignes musicales d'un instrument à l'autre, donc de gauche à droite, par exemple. Dès le XVIè siècle, des oeuvres entières sont écrites pour deux orgues ou deux choeurs placés à l'opposé dans une même nef. Plus tard, lorsque la musique savante acquiert le droit d'exister hors de l'église ou des salons des princes, on se met à construire des salles de concert pour qu'elles "sonnent" bien : longueur et couleur de réverbération, notamment. De l'acoustique architecturale dirait-on aujourd'hui...
    L'invention du phonographe, à la fin du XIXè siècle, met fin à la période où tout événement sonore doit être produit en direct. La machine est déjà assez complexe à réaliser, il n'est donc pas à l'ordre du jour de multiplier les difficultés par deux sous prétexte qu'on a deux oreilles ! Le saviez-vous ? Les phonographes sont dépourvus de microphone et de haut-parleur : c'est l'énergie acoustique interceptée par le pavillon qui est retransmise mécaniquement à l'aiguille et grave la cire dans une seule dimension, en profondeur &endash même chose à l'envers lors de la lecture. Autant dire que les subtilités de prise de son ou de jeu ne sont pas de mise : tout le monde autour du pavillon, le soliste devant, et tourne la manivelle...
    Douche froide
      Avec l'apparition du microphone, plus sensible, on peut enfin commencer à raffiner un peu les prises : l'ère de l'enregistrement électrique commence. La radio, nouvellement apparue, fait aussi un usage intensif de ce capteur, à charbon puis à ruban, dont on amplifie le signal avec des triodes, un composant électronique nouveau aussi. Quant au cinéma, il utilise depuis 1927 une technologie optique pour enregistrer la modulation sonore sur la pellicule, mais se contente des mêmes micros, dont on a du mal à discerner la directivité... Mieux vaut parler fort et clair si l'on veut être compris !
      Dès 1927 (coïncidence !), un certain Monsieur Neumann présente un curieux micro en forme de bouteille, le CMV3. Sa sensibilité n'a aucun équivalent, et la résolution des enregistrements qu'il permet est cent lieues en avance des moyens de l'époque : la gravure directe sur 78 tours, sans montage possible, donc. Dans les années 30, un ingénieur anglais du nom de Blumlein a l'intuition de la stéréophonie. Il dépose nombre de brevets concernant notamment la prise de son avec deux micros. A l'époque, il se sent bien seul !
      L'invention du magnétophone, qui se répand dans le monde entier au début des années 50, va changer beaucoup de choses en matière d'enregistrement. Le nouveau support, la bande magnétique, est de bien meilleure qualité que tout ce qui a existé jusqu'à présent. Autrement dit, tout le grain des prises effectuées avec des Neumann U47 ou C12 flambant neufs reste intact. Très vite, on invente les têtes doubles : l'idée de stéréophonie revient alors au galop, donnant naissance à la "haute fidélité". Après quelques atermoiements, on standardise un moyen de graver deux canaux sur les côtés des sillons d'un disque longue durée de 20 à 30 mn par face. Les ingénieurs du son y croient et se jettent sur ce nouveau procédé. Les maisons de disques seront plus longues à convaincre : «Au milieu des années 50, les enregistrements "officiels" se faisaient en mono», raconte Bruce Swedien. «Nous expérimentions déjà la stéréo mais, chose qui peut paraître surprenante aujourd'hui, les grands pontes des maisons de disques et autres décisionnaires du show biz n'y croyaient absolument pas. Ils mettaient tout en oeuvre pour nous décourager d'essayer, refusant par exemple de payer la bande magnétique sur laquelle nous enregistrions parallèlement en stéréo - le matériel correspondant se trouvait dans une pièce à part. L'un d'eux m'a même dit un jour "La stéréo, pourquoi faire ? Je ne prends pas ma douche avec deux pommeaux !". Vu sous cet angle...».
      Certains font des expériences avec des têtes artificielles équipées de deux micros, plus ou moins sophistiquées, mais sauf à écouter au casque, les résultats s'avèrent assez décevants.
      Sur ses deux oreilles
        Voilà donc le disque stéréo à l'assaut du marché. Il ne s'imposera qu'au bout d'environ dix ans : rappelons que les premiers Beatles ou le premier Pink Floyd ont été mixés en mono - les fans qui usaient les 33 tours sur leur Teppaz n'y trouvaient rien à redire... A la fin des années 60 commence l'âge d'or de la "chaîne hifi", qui devient un emblème de la société de consommation. Apparue à peu près au même moment que le disque microsillon, la modulation de fréquence propose à son tour des émissions en stéréo (chez nous, France Musique seulement - et aucune radio privée jusqu'en 1981, monopole oblige). Le radio-cassette stéréo, souvent pourvu d'un système pour élargir l'image sonore, connaît en parallèle le succès que l'on sait.
        Parallèlement à toutes ces évolutions, le cinéma est resté monophonique, ce qui n'empêche pas des réalisateurs pointilleux de réaliser des bandes son extrêmement sophistiquées et fines, enregistrées avec des Nagra. Des expériences très ponctuelles ont déjà eu lieu pour aller au-delà et essayer des sons sur plusieurs canaux : en précurseur absolu, citons "Fantasia", dessin animé exclusivement musical estampillé Disney, dès 1941. On essaie aussi de "remplir" les écrans hyperpanoramiques de la production à grand spectacle hollywoodienne des années 50 : ces films tournés sur de la pellicule 70 mm sont projetés avec six pistes magnétiques couchées sur les côtés du film. Enfin, citons chez nous Jacques Tati qui, en 1967, mixe "Playtime" en stéréo. Cela dit, on ne sort pas de l'expérimentation : aucun standard de production ne se dégage, et un nombre infime de salles est concerné par ces "améliorations". Souvenons-nous du procédé Sensurround® utilisé pour le film "Tremblement de terre", qui consistait à loger un haut-parleur de graves sous le siège de chaque spectateur pour qu'il ressente mieux les vibrations. Bref, n'en déplaise aux fanatiques du septième art, au début des années 70, pour le grand public, le son cinéma est nettement en retard sur le son "musique" : toujours mono et toujours optique - une technologie responsable d'une chute rapide des aigus, à la dynamique limitée, mais aussi très sensible aux parasites provoqués par l'usure physique de la pellicule projetée des centaines de fois. Peut mieux faire ! Patience, patience...
        La quadrature du son
          Au début des années 70, justement, les industriels de la hifi, enivrés par leur succès, lancent un nouveau concept : la quadriphonie. C'est l'époque du multipiste roi (même en classique !) et de la prise de son de proximité obligatoire, souvent dans des studios de taille réduite rendant toute prise d'ambiance impossible. Diriger les canaux sur deux ou quatre bus ne pose aucun problème majeur : les disques seront désormais mixés sur quatre canaux. Pas de problème pour enregistrer les masters, le quatre pistes est monnaie courante à l'heure où les multipistes les plus élaborés en gèrent six fois plus. Compte tenu du fait que le seul support de qualité alors disponible est le disque noir, les ingénieurs se mettent à plancher sur ce délicat problème : comment loger quatre canaux sur un sillon qui a déjà bien du mal à en héberger deux, gravés à 45° ?
          Jamais à cours d'idées, ils inventent alors divers systèmes de matriçage, alliés à des techniques faisant intervenir des fréquences porteuses très élevées (40 à 50 kHz), modulées par les canaux arrière puis mélangées aux canaux avant, gravés pour leur part tout à fait normalement pour assurer la compatibilité avec les têtes stéréo. Le grand public est donc invité à s'équiper toutes affaires cessantes de quatre enceintes, d'un ampli quatre canaux, et surtout d'une tête de lecture très sophistiquée, donc onéreuse. Autant l'avouer : les résultats ne sont pas à la hauteur des espérances. «En studio, tout se passait très bien, le mixage quatre pistes était impressionnant . C'est en écoutant le disque "quadriphonique" du commerce que les choses se gâtaient...», se rappelle Alan Parsons. «Pour obtenir un résultat correct, il fallait une gravure et un pressage extrêmement soignés, une cellule de lecture parfaitement réglée, conçue pour monter au-delà de 40 kHz et des circuits de décodage bien calibrés. Sinon, on avait l'impression d'un hors-phase avant-arrière permanent !». Ajoutons que les constructeurs n'étant pas parvenus à se mettre d'accord sur un standard unique (air connu), des sigles hermétiques comme QS, SQ et autres Stereo 4 achevèrent de semer la confusion dans l'esprit du consommateur... et la quadriphonie disparut aussi vite qu'elle était venue. S'il ne reste que quelques dizaines de masters dans les caves des maisons de disques, les techniques de matriçage, elles, n'ont pas été perdues pour tout le monde (cf. encadré Dolby).
          Systèmes lumineux pour salles obscures
            En 1978, les laboratoires Dolby, célèbres pour leurs réducteurs de bruit professionnels (A) puis grand public (B) frappent très fort avec le Dolby Stereo. Ce système permet de loger sur une piste optique standard compatible mono quatre canaux son distincts : gauche, centre, droite, ambiance, matricés en deux canaux Lt Rt. La technique de réduction de bruit employée - A, puis SR à la fin des années 80 - augmente considérablement la dynamique. Mis au service de films comme "Stars War" ou "Apocalypse Now", le procédé devient le premier standard multicanaux mondial. Dolby mentionne à ce jour "9 340 Dolby encoded films". Jugées selon les critères d'aujourd'hui, ses performances semblent limitées : bande passante, dynamique..., sans parler de ce canal d'ambiance tronqué, plafonnant à 6 kHz. L'immersion sonore que ressent le public, a priori pour la première fois (exception faite d'une poignée de privilégiés ayant assisté à des concerts de musique électro-acoustique en multi-diffusion depuis les années 60), est une sensation à proprement parler inouïe, sans aucun équivalent en musique pure. Au mixage, les règles sont clairement définies : la voix au centre, le reste gauche-droite, de temps en temps quelque chose dans le surround. Un conseiller Dolby assiste l'ingénieur du son cinéma lors de ses premiers mix à ce format, lui recommande tel ou tel truc, lui déconseille tel autre... Bref, au niveau de la production, le Dolby Stereo est assez "borné" quant à ses possibilités. Dix ans après, cette technologie s'est vue déclinée dans le grand public sous le nom de Dolby Surround. Les chiffres de vente sont très flatteurs !
            Quoiqu'il en soit, de parent pauvre, le son au cinéma se retrouve d'un seul coup en avance sur le son musique. Quelques années plus tard, le CD popularise la technologie numérique... que Dolby ne tarde pas à s'approprier en présentant le Dolby Digital : des informations numériques compressées d'un facteur dix, logées sous forme de "pavés" entre les perforations de la pellicule - il n'y avait plus de place ailleurs ! -, laissant donc exister les pistes Dolby Stereo traditionnelles. Dans les salles obscures, c'est l'extase : six canaux, une dynamique époustouflante, un canal de sous-graves, une ambiance vraiment stéréo... Le succès est au rendez-vous : à ce jour, près de 1 800 films mixés à ce format et 20 000 salles équipées dans le monde... même si parfois, la quantité de décibels prime sur la qualité ! Dans les audis cinéma, c'est la débauche de matériel : consoles à automation, multipistes numériques, excellentes enceintes &endash les recommandations THX sont exigeantes sur ce point &endash et autant d'effets que dans un studio musique.
            Toujours plus loin
              Le perfectionniste Steven Spielberg n'est toutefois pas satisfait du travail de Dolby. Pour donner aux pas des dinosaures de Jurassic Park tout le poids voulu, il choisit une nouvelle arme, le dts, pour Digital Surround Technology. Cet autre standard américain six canaux s'inspire en grande partie des travaux des français de LC Concept, l'un d'eux ayant d'ailleurs rejoint les rangs de dts. Le format de mixage est identique (5.1), mais la compression moins drastique : environ 4:1. En contrepartie, l'embonpoint qui en découle oblige à loger les données ailleurs que sur le film, et plus précisément sur un CD-ROM lu en synchronisme par le projecteur, en référence à un timecode gravé sur la pellicule. Le dts est donc inauguré par un film qui battra des records de recettes partout dans le monde. Aux Etats-Unis, ce procédé est abondamment utilisé dans les salles de cinéma. Très avisés, les ingénieurs dts s'empressent alors de décliner leur savoir-faire en une version "musique"...
              En effet, dans le monde du disque, on commence à s'interroger. Ce sont les compositeurs de bandes originales de films qui vont de l'avant : si le film est mixé en 5.1, il faut bien que les musiques le soient aussi ! L'adaptation n'est parfois pas évidente, comme nous le raconte Didier Lozahic, du studio Zorrino : «Sur la musique du "Cinquième élément", j'ai pu laisser libre cours à mon imagination, notamment au niveau des placements des instruments dans les différents canaux. J'ai suggéré à Eric Serra, qui pensait plutôt "stéréo améliorée", de placer des sons uniquement dans le surround, par exemple. Le résultat l'a étonné !». Parallèlement, certains artistes commencent à penser directement 5.1. C'est ainsi qu'Alan Parsons, dès 1996, mixe "On Air" à la fois en versions stéréo et en dts. Malheureusement, rares son ceux à profiter de cette dernière : les décodeurs dts pour platines CD ne se courent pas les rues !
              Dans le même temps, dts lance une grande campagne de remixage multicanaux de disques connus : Allman Brothers, Brian Wilson, Eric Clapton, Joe Cocker, Moody Blues, Paul McCartney, Eagles ou Steely Dan, remixés 5.1. Oui mais voilà, pour les mêmes raisons d'équipement - devoir se procurer et brancher sur sa platine un décodeur six canaux qui ne sert à rien d'autres en rebutera plus d'un -, ces albums n'attireront pas l'attention des foules. Qui plus est, même s'ils sont déguisés en CD Audio pour que les platines les reconnaissent, il est impossible de les lire sans le décodeur &endash on entend une espèce de bruit blanc assez peu agréable. Beaucoup de handicaps à l'heure où arrive... le DVD !
              Audio ou vidéo ?
                Apparu au milieu des années 90, le Digital Versatile Disc représente un phénomène unique dans l'histoire des supports enregistrés : c'est tout simplement la première fois que support son et support image sont identiques. La galette de 12 cm, simple ou double face, simple ou double couche, a d'abord été conçue pour accueillir des films : c'est le DVD Video, successeur annoncé de la VHS aux Etats-Unis (nos amis d'outre-Atlantique ne l'utilisent que très peu pour enregistrer). D'autres déclinaisons du support sont ensuite apparues ensuite, tandis d'autres sont encore à l'étude. Citons par exemple DVD-ROM et le DVD Audio. Bref, en gros, un DVD peut accueillir ce qu'on veut !
                Mais au fait, côté son, quelle différence entre celui d'un DVD Video et celui d'un DVD Audio ? Simple : dans le premier cas, il est compressé (Dolby Digital, dts ou MPEG) tellement l'image demande de place, contrainte dont on peut s'affranchir dans le second cas, compte tenu de la place disponible. Si on désire exploiter le DVD comme support son multicanaux, compte tenu du débit de données permis par le lecteur, on peut travailler en PCM 48 kHz, 16 ou 20 bits sur les six canaux. Lles choses se gâtent ensuite dès qu'on veut "monter" plus haut en résolution ou en fréquence d'échantillonnage, une tendance fort à la mode actuellement. Pas de problème en revanche si on se cantonne à la stéréo, fût-ce en 24 bits 192 kHz !
                Les spécifications du DVD Audio n'en finissent pas d'être fixées, approuvées, puis remises en cause. Sony/Philips, avec leur séduisant Super Audio CD basé sur le procédé DSD (échantillonnage "one bit à 2,8224 MHz), ont jeté un beau pavé dans la mare en assurant la compatibilité descendante avec le CD : une couche à ce format et une couche DSD sur un même support. Nous voici donc face à deux formats concurrents qui, l'un comme l'autre, acceptent du son haute définition et multicanal - six, a priori. Le plus fort est qu'on ne sait toujours pas ce qu'on va y mettre sur un plan strictement musical, c'est-à-dire déconnecté de toute image... Plus exactement, aucune tendance forte ne se dégage. Pour les enregistrements live, les canaux arrière servent à reproduire un prémixage d'ambiances captées sur plusieurs micros disposés un peu partout dans la salle - le résultat est parfois impressionnant, comme sur le DVD de Bazik, que nous avons eu l'occasion d'écouter en mixage, ou plus bizarre, sur un DVD de concert rock où, très curieusement, une guitare s'obstinait à se promener dans les canaux arrière. Peut-être le guitariste était-il arrivé en retard et resté dehors, essayant d'accompagner quand même ce qui se passait sur scène ?
                Colorisation et 5.1
                  En ce qui concerne les albums studio, nous l'avons dit, rien ne se dégage. Avant même de parler centre, avant et arrière, faut-il se servir du subwoofer ? «Pour écouter les dinosaures de Spielberg, peut-être, mais c'est inutile en musique - on ne le met à contribution que pour que celui qui a acheté son écoute 5.1 ne soit pas déçu en se disant que ce gros machin ne sert à rien», affirme Bob Ludwig. La voix du chanteur doit-elle forcément aller au centre, comme en cinéma, ou reste-t-elle dans les enceintes gauche-droite ? Dans ce cas, que mettre au centre ? Autant de questions auxquelles chacun apporte sa propre réponse.
                  Ne serait-ce que parce qu'ils sont souvent filmés, les concerts capteront sans doute pas mal de ventes aux "vrais" débuts commerciaux du DVD Vidéo - le "Unplugged" d'Eric Clapton est ainsi déjà devenu un grand classique des démos, malgré un son 5.1 comprimé en Dolby Digital qui fait sans doute perdre un peu de subtilité. Verra-t-on du coup une campagne de remix 5.1 de concerts déjà publiés en stéréo depuis des lustres, ce genre de disques, par leur impact et leur "air", se prêtant aisément à une mise en 5.1 ? Yves Jaget semble mitigé : «Pour être impressionnant et éviter le côté "plaqué", le mixage multicanaux doit être prévu et assumé dès le départ, dès la conception du show : mise en scène, choix des sons, des effets spéciaux, certaines exagérations... Certains styles s'y prêtent davantage que d'autres».
                  Remixer en 5.1 les albums de grands noms sera très tentant pour les maisons de disques. Mais c'est un peu comme coloriser un vieux film... Un processus où la morale doit être souveraine, qui peut être réussi s'il est mené avec soin par l'ingé son original (exemple : Elliott Scheiner pour "Gaucho", de Steely Dan - que Bob Ludwig lui-même trouve excellent en 5.1 - une référence quand on sait qu'il avait déjà masterisé la version stéréo). Ce remixage peut aussi se révéler une vraie trahison - nous nous souvenons avoir ainsi écouté sur DVD une compilation de titres de, par exemple, Suzanne Vega ou Sting, "5.1-isés" pour démo par des ingés son anonymes, et où toute la personnalité insufflée au mixage stéréo par un Mitchell Froom ou un Hugh Padgham avait disparu. Mais que ne ferait-on pas pour redonner une vie commerciale à de vieux masters ?
                  L'addition, s'il vous plait
                    Pour les studios qui désirent se mettre au 5.1, la facture est assez lourde... L'aménagement acoustique doit être revu : on passe d'un stade où l'énergie provient uniquement de l'avant (où se trouvent les deux enceintes stéréo) à une configuration où cinq haut-parleurs entourent littéralement l'ingénieur. L'absorption, le contrôle des réflexions... tout diffère. Sans parler de l'insertion d'un caisson de graves dans le système d'écoute, dont le placement peut parfois se révéler problématique, ni des modifications à apporter à la console (grille d'écoute spéciale, genre StudioComm ou Adgil). Au final, dans le meilleur des cas, la note se monte au minimum à 100 000 F. Au pire, il faut refaire toute la cabine ! Remarquons qu'aujourd'hui, à part Sony avec sa DPS-V55 et sa toute nouvelle DRE-S777, toutes deux pourvues de programmes "optimisés surround", aucun fabricant ne propose de réverbe "5.1". Ce serait pourtant le succès assuré, à l'heure où même les consoles home studio (cf. banc d'essai de la Ramsa dans ce même numéro), les cartes son et les enceintes amplifiées pour ordinateur sont à ce format...
                    Chez les particuliers, même son de cloche : l'irruption du surround représente une occasion inespérée, dans un marché hypersaturé, de vendre des enceintes et des ampli-tuners à des ménages déjà équipés - mais en stéréo "seulement". Depuis la VHS et le CD, le grand public a presque tout refusé : DAT, DCC, LaserDisc, S-VHS... Tout juste accepte-t-il le MiniDisc, mais mollement. Difficile de prévoir le destin du surround !
                    Le monde sans fil est à vous
                      Les producteurs de télé envisagent déjà le 5.1, comme l'indique Franck Fradet, ingénieur du son à la SFP : «Je pense que l'axe principal sera le sport : recréer l'ambiance régnant dans les tribunes d'un match de football, par exemple. C'est un milieu très difficile à gérer : pas de source clairement discernée, mais une sorte de brouhaha homogène, même en stade ouvert. Bref, les micros ne sont pas décorrélés, ils captent un peu la même chose où qu'ils soient disposés, ce qui ne rend pas le surround très payant au final. Les chaînes savent qu'elles n'ont pas affaire à des puristes, à des audiophiles, à des coupeurs de dB en quatre, mais à des clients à qui on a fait acheter une télé 16/9 avec "son surround" marqué dessus et donc miroiter une plus-value sonore appréciable. En d'autres termes, le public en veut pour son argent. Il faut du "brillant", une grosse ambiance large derrière, que n'importe qui peut discerner. 90% des gens ont placé les enceintes de leur chaîne hifi n'importe comment, les conditions d'une écoute stéréo optimale ne sont que très rarement remplies. Comment vont-ils placer leurs non plus deux, mais six enceintes ? Il faut donc que le mix multicanaux assure, même dans les conditions les plus défavorables. On achoppe sur des problèmes physiques : de notre point de vue, il n'y aura de bon système surround qu'à partir du moment où les fils auront disparu, où les gens pourront poser leurs enceintes à l'endroit de leur choix sans avoir quatre mètres de câbles à tirer depuis leur ampli. Ce genre d'aspect pratique est essentiel. Le DVD, apportant à domicile les "grosses machines" du cinéma américain mettra sans doute la barre assez haut en termes de qualité sonore».
                      Pour l'anecdote, signalons que quelques radios se sont lancées dans l'expérience consistant à diffuser sur les deux canaux d'une station FM un programme inédit encodé Dolby Surround : citons France Inter (notamment "Le singe soleil, en mai 97) et RFM (nuits d'Halloween, de Noël). Les auditeurs équipés ne tarissent pas d'éloges... malgré une transmission hertzienne analogique chahutant sans doute quelque peu les spatialisations !
                      Trop fort !
                        Franck Fradet soulève là un problème de taille : jusqu'ici, le son Dolby Digital a souvent servi à "brutaliser" les tympans du public de films d'action américains. Coups de poings, moteurs, détonations, cris en tous genres : les témoignages de spectateurs obligés de sortir de la projection tellement le niveau sonore est élevé abondent... Il serait dommage que cette "esthétique" prévale, par habitude, et que DVD devienne synonyme de spectaculaire, de "plein les oreilles". Certains insinuent d'ailleurs que c'est cette débauche d'énergie sonore qui masque les défauts du Dolby Digital, qu'un bon enregistrement classique met cruellement en lumière. Comme le rappelle Albert Laracine, un de nos plus grands preneurs de son, «Aux débuts de la stéréo, on a entendu des disques tout à fait bizarres, avec des sons qui bougeaient de gauche à droite, des panoramiques aberrants, ou encore des largeurs de prise de son sans rapport avec la réalité. Le phénomène a fait long feu». Voir se pérenniser dans la musique pure les abus dynamiques et spectraux souvent constatés en cinéma serait fort dommage pour une technologie qui peut déboucher sur des restitutions d'une finesse et d'une résolution telles que le son paraît palpable dans l'espace - comme on a pu s'en apercevoir lors du Forum International du Son Multicanaux, au SATIS. La meilleure preuve était apportée par un enregistrement de trio à cordes "compatible stéréo", qui semblait parfait dans ce format : mais une fois qu'on ajoutait les autres canaux, revenir en stéréo était tout simplement impossible. Ce sera la condition sine qua non pour qu'émerge un marché important pour le son surround.
                        Pour conclure, que représente le 5.1 pour les home studistes ? Une technologie qui existe, qui semble prometteuse, et su'il ne faut pas hésiter à découvrir. De plus en plus de consoles numériques proposeront des modes de mixage Surround : il faut essayer, mettre des réverbes derrière, prémixer des ambiances... En attendant, pourquoi ne pas chercher à faire passer, dans un mix stéréo, des effets de spatialisation psycho-acoustiques ? L'offre abonde, que ce soit en plug-in ou en hardware, beaucoup d'ingénieurs du son connus les utilisent d'ores et déjà... Ce sera le sujet du [article.php?lang=FR&id=13] second volet de cet article [/]!
                        Notes
                          CD stéréo et Surround?

                          Que se passe-t-il si je lis un CD stéréo sur un ampli Dolby Surround ? C'est assez simple : tout ce qui est "gauche/droite" reste "gauche/droite", mais un peu plus resserré. Ce qui est commun aux deux canaux sera reproduit par l'enceinte centrale. Ce qui est plus ou moins hors phase dans le mix original - réverbes, mais aussi parfois certains sons - se retrouvera à l'arrière ! Comme le souligne Denis Florent, Directeur de Production à RFM, station qui produit plusieurs fois par an des émissions au format Dolby : «Ecouter des disques surround apporte parfois de bonnes surprises ! Par exemple, le dernier album de Quincy Jones, "Q's Juke Joint", enregistré avec un big band, est ébouriffant. Je pense notamment à une chanson interprétée par Ray Charles, Stevie Wonder et Bono, au son monstrueusement magnifique une fois décodée. De façon générale, je pense qu'un titre mixé large en stéréo sonnera bien en Dolby, alors qu'un mix centré, mono avec de la réverb sur les côtés pour élargir passera très mal dans les mêmes conditions». On se sent entouré par le son, au détriment de la précision d'analyse stéréo bien entendu. Une expérience que votre serviteur pratique quotidiennement sur son magnifique amplificateur surround Tokai, acheté 990 F en grande distribution, les cinq enceintes comprises... (ah non, Monsieur, le caisson de graves est en option, oui oui...).

                          En chiffres

                          Les laboratoires Dolby vivent essentiellement de licences. On ne s'étonnera donc pas qu'ils soient amenés à tenir une comptabilité très précise des produits utilisant des technologies dont ils sont détenteurs : 609 brevets dans 31 pays et 611 marques déposées dans 96 pays. Voici le dernier recensement des ventes à l'échelle mondiale, au 21 janvier 99 :

                          - 36 564 000 décodeurs Dolby Surround
                          - 7 202 000 appareils Dolby Digital
                          - 1 873 000 lecteurs DVD Video équipés Dolby Digital (270 modèles)
                          - 2 075 000 lecteurs DVD ROM pour ordinateurs (118 modèles)
                          - 1 400 DVD et 500 Laser Discs avec des bandes son Dolby Digital
                          - 192 jeux vidéo Dolby Surround
                          - 29 DVD-ROM Dolby Digital

                          De six a huit !

                          Pour Sony, six canaux ce n'est pas suffisant : huit c'est mieux ! Conçu pour des écrans très larges, le système SDDS (pour Sony Dynamic Digital Sound) loge pas moins de cinq HP derrière l'image : gauche, semi-gauche, centre, semi-droit, droit. Il va sans dire que les déclinaisons domestiques d'un tel format, loin d'être aussi implanté que le Dolby Digital ou le dts dans le circuit des salles de cinéma, risquent de poser problème ! Dans le genre "haut de gamme", certains prédisent néanmoins un bel avenir au SDDS. Qui vivra verra...

                          Récupération

                          C'est à un certain Peter Scheiber que l'on doit les bases du son surround. Ray Dolby lui a "loué" son brevet pour l'appliquer à un système d'écoute cinéma : bien qu'il prétende avoir conçu le système, l'homme verse encore des royalties à l'inventeur. Autre bidouilleur de génie, Jack Cashin a amélioré les spécifications du Dolby Stereo avant de fonder Ultra Stereo Labs, procédé utilisé pour la première dans le film "Nashville", de Robert Altman, récompensé par un Oscar en 1984. Dolby Labs a subséquemment récupéré ce système, et l'exploite couramment. Ceci pour dire que la firme a aidé à populariser le format surround en cinéma ou à la maison, mais ne l'a pas à proprement parler inventé.



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